Enlèvement international d’enfants : l’office du juge contrôlé par la CEDH

Civil - Personnes et famille/patrimoine
14/10/2019
Dès lors que les juridictions internes ont dûment pris en compte les allégations du requérant, que le processus décisionnel a été équitable et qu’il a pu pleinement faire valoir ses droits dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour européenne considère que la décision de retour de l’enfant vers sa mère, se fondant sur des motifs pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, considéré à la lumière de l’article 13 b) de la Convention de La Haye et de l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant, est proportionnée au but légitime recherché.
Le requérant eu avec son épouse, ressortissante mexicaine, un enfant. En février 2004, la mère emmena l’enfant aux États-Unis pendant deux mois sans le prévenir. Le divorce fut prononcé la même année et l’autorité parentale fut accordée conjointement aux deux parents mais la garde fut confiée au requérant avec des droits de visite pour la mère.
En juin 2005, la garde fut transférée à la mère avec un droit de visite pour le père. Une première procédure d’enlèvement international fut ouverte en 2005-2006, à la suite du départ du requérant pour la France avec l’enfant. Par jugement du 19 octobre 2006, le tribunal de grande instance (TGI) de Marseille considéra le déplacement de l’enfant illicite, au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye. Cependant, compte tenu d’une procédure en cours au Mexique pour tentative de meurtre dont le requérant fut victime et mettant en cause la mère, le TGI considéra qu’il existait un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger. Le tribunal fit application de l’article 13 b) de la Convention de La Haye et n’ordonna pas le retour de l’enfant auprès de sa mère.
À la suite d’un accord avec la mère, le requérant accepta de lui confier de nouveau la garde de l’enfant. En avril 2007, le juge aux affaires familiales du district fédéral de Mexico déchut le requérant de l’autorité parentale à l’égard de son fils en raison du risque de départ à l’étranger. En octobre 2007, la mère quitta le Mexique pour les États-Unis avec l’enfant. Un mandat d’arrêt fut émis par les autorités mexicaines à son encontre pour enlèvement d’enfant. Ayant localisé son fils au Texas en février 2009, le requérant obtint de la justice du Texas que l’enfant lui soit confié provisoirement dans l’attente d’une audience ultérieure au cours de laquelle le juge américain statuerait sur l’attribution de la garde. Le requérant emmena son fils au Mexique puis en France, sans comparaître à cette audience. Les autorités américaines émirent un mandat d’arrêt contre lui pour enlèvement d’enfant.
La seconde procédure d’enlèvement international fut ouverte en 2009-2010. En octobre 2009, la mère saisit l’autorité centrale des États-Unis d’une demande de remise de l’enfant en application de la Convention de La Haye. En août 2010, les juridictions américaines accordèrent la garde de l’enfant à la mère et, dans le même temps, le TGI de Marseille ordonna le retour de l’enfant auprès de sa mère aux États-Unis. Le requérant remit alors l’enfant à la mère, mais interjeta appel du jugement. La cour d’appel confirma le jugement. Elle considéra que la résidence habituelle de l’enfant était bien au Texas et que l’enfant n’encourait aucun danger auprès de sa mère. La Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.


Devant la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant fait valoir une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale. Toutefois, pour rejeter sa demande, la Cour note tout d’abord que les décisions, prises par les autorités françaises, de retour de l’enfant près de sa mère, étaient fondées sur la Convention de La Haye et visaient à protéger les droits et libertés de l’enfant. Prévue par la loi, l’ingérence poursuivait donc un intérêt légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
La Cour observe ensuite que le requérant a fait principalement valoir devant le TGI comme devant la cour d’appel, l’illégalité de la résidence de l’enfant aux États-Unis. Or, les juridictions internes ont considéré que la résidence légale de l’enfant au moment de son départ vers la France se situait bien au Texas et que le déplacement de l’enfant par son père vers la France était illicite. Devant le TGI, il a soutenu que l’enfant était en danger avec sa mère et qu’il voulait rester avec son père. La Cour observe toutefois que le tribunal s’est expressément fondé sur l’audition de l’enfant par la brigade des mineurs. Elle relève, ainsi que l’a fait la Cour de cassation, que le juge a pris en compte les sentiments exprimés par l’enfant qui ne manifestait aucune opposition à son retour aux États-Unis. Le tribunal a correctement examiné les allégations de danger soutenues et y a répondu par une motivation circonstanciée.

Devant la cour d’appel, alors que la décision de retour avait été exécutée, le requérant, fit valoir de nouveau le risque de grave danger pour l’enfant. Il soutint que ce risque découlait d’une part, de la mère elle-même et, d’autre part, de la rupture totale des liens entre l’enfant et son père. La Cour constate que la juridiction d’appel a motivé sa décision au regard des deux aspects du risque allégué. À aucun moment la cour d’appel n’a refusé d’examiner une allégation de risque grave. Au contraire, elle a considéré que l’enfant ne courait aucun danger auprès de sa mère après avoir visé les pièces fournies au dossier. En conséquence, l’allégation de risque grave en cas de retour de l’enfant a fait l’objet d’un examen effectif, fondé sur les éléments invoqués au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant et la juridiction d’appel a fourni une décision motivée.
La Cour considère également que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à ordonner le retour de l’enfant a été équitable. La Cour de cassation, quant à elle, a contrôlé effectivement que la cour d’appel avait suffisamment motivé sa décision de retour au regard de la Convention de la Haye et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Cour considère en conclusion que les juges internes ont dûment pris en compte les allégations du requérant, et que le processus décisionnel en cause a été équitable et qu’il a permis au requérant de faire pleinement valoir ses droits et ce, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Eu égard à la marge d’appréciation des autorités, la décision de retour se fondait sur des motifs pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 de la Convention, considéré à la lumière de l’article 13 b) de la Convention de La Haye et de l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant, et elle était proportionnée au but légitime recherché. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 8.
Source : Actualités du droit