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Précisions sur le devoir d’éclairer de l’établissement de crédit et l’inopposabilité d’une clause d’exclusion de garantie d’assurance emprunteur

Affaires - Assurance
08/07/2021
Par l’arrêt en date du 17 juin 2021, la Cour de cassation rappelle que le manquement de l’établissement de crédit dispensateur de crédit à son devoir d’éclairer le futur adhérent sur l’adéquation du contrat d’assurance emprunteur à sa situation personnelle se répare sur le terrain de perte de chance sans que ledit adhérent ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé. Elle rappelle en outre que l’incertitude qui rentre dans le champs d’une clause d’exclusion d’assurance emprunteur la rend inopposable à l’adhérent.
 
Faits et procédure

En l’espèce, quatre emprunts ont été souscrits par un agriculteur auprès d’une banque, elle-même souscriptrice d’une assurance de groupe auprès du CNP et à laquelle il adhère.

L’assurance de groupe garantissait les risques de décès et d’incapacité temporaire totale de travail pour l’ensemble de ces prêts, ainsi que le risque d’invalidité absolue et définitive pour l’un d’entre eux et le risque perte totale et irréversible d’autonomie pour les trois autres.

Il y a été notamment précisé que sont exclus de la garantie « les incapacités et invalidités (qu’elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues) qui résultent : - de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie et autre "mal au dos" ».

À la suite d’un accident, un agriculteur souffre des hernies discales et sollicite l’assureur pour la prise en charge des échéances des prêts étant dans l’impossibilité de poursuivre son activité professionnelle.

Le CNP refuse d’accorder sa garantie arguant que les exclusions relatives aux pathologies lombaires sont prévues par les contrats d'assurance souscrits et par notamment la clause d’exclusion susmentionnée.

Devant les juridictions du fond, l’agriculteur agit contre l’assureur en estimant inopposable la clause d’exclusion et ainsi que contre la banque qui aurait omis de l'éclairer sur l'adéquation de la garantie proposée aux risques auxquels l'exposait son activité professionnelle.

La Cour d’appel de Montpellier valide la clause d’exclusion et refuse de reconnaître la responsabilité contractuelle de la banque. Les juges d’appel estiment en effet « que dans cette clause d'exclusion, seule l'expression "et autre mal au dos" n'est pas formelle et limitée et qu'une fois expurgée de cette expression maladroite et imprécise, inopposable à l'assuré, la clause redevient parfaitement claire, formelle et limitée, pour le restant ». La responsabilité de la banque est également écartée au motif que l’agriculteur « était parfaitement informé pour avoir dûment signé et paraphé chacune de ces demandes », et qu’il a déclaré « dans le questionnaire de santé, n'avoir pas subi de lumbagos ou de sciatiques et qu'en sa qualité d'agriculteur » ce qu’induisait donc qu’il « était mieux placé que la banque pour connaître les pathologies auxquelles sa profession l'exposait particulièrement et que s'il s'estimait particulièrement soumis à un risque de lombalgies et sciatalgies… ».

L’arrêt est cassé sur ces deux points. Pour la deuxième chambre civile, dès lors qu’une clause d’exclusion mentionne « et autre "mal de dos" », celle-ci n’est plus formelle et limitée et « ne peut recevoir application, peu important que l'affection dont est atteint M. X soit l'une de celles précisément énumérées à la clause ». Qui plus est, l’établissement de crédit doit indemniser la perte de chance de l‘agriculteur car « la banque, qui propose à son client auquel elle consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'elle a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur » ce qui implique « que toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé ».

Éléments d’analyse

Par un arrêt du 2 mars 2007, l’Assemblée plénière a consacré l’obligation pour le banquier d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle (Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267). Cette obligation est distincte du devoir de conseil et l’obligation de mise en garde et serait, d’après le Professeur Kullmann, la conjonction de ces deux dernières : devoir d’avertir le souscripteur sur l’inadéquation du contrat d’assurance de groupe et devoir lui conseiller ensuite une protection appropriée (J. Kullmann, RGDA, 2008, p. 171-172).

L’inobservation de cette obligation appelle à une réparation du préjudice à travers le concept prétorien de perte de chance, qui se définit comme une « disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n° 05-15.674). Si initialement la réparation d’une perte de chance était soumise à un seuil de gravité, ce verrou a été progressivement enlevé par la Cour de cassation de sorte que désormais « toute perte de chance ouvre droit à réparation » aussi infime qu’elle soit (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 18-25.440).  En l’espèce, la cour d’appel a encore subordonné l’indemnisation de la perte d’une chance à la preuve de la certitude que l’emprunteur aurait souscrit une assurance complémentaire s’il avait été mieux éclairé. Or, comme le note avec justesse Mme Rodriguez « le préjudice de la perte de chance a pour vocation à indemniser la disparition certaine d'une éventualité, non la disparition d'une certitude » (K. Rodriguez, JCP E 2020, n° 1349), une preuve très difficile à apporter. Comment en effet l’emprunteur peut-il prouver qu’il aurait souscrit avec certitude une meilleure assurance s’il aurait été mieux informé ? Ainsi, la seule preuve de l’existence d’un choix raisonnable suffit :  si mieux éclairé l’agriculteur aurait pu envisager une meilleure protection assurancielle, une telle preuve est satisfaisante. Toutefois il est à noter que, comme l’a récemment précisé la Chambre commerciale, la perte de chance consiste à devoir supporter pour le souscripteur la charge d'un prêt, qui aurait pu être reportée sur l'assurance, et non pas dans la possibilité de souscrire ou ne pas souscrire une garantie adaptée (Cass. com., 6 janv. 2021, n° 18-24.954). Cette solution s’inscrit ainsi dans une tendance jurisprudentielle qui milite en faveur d’une protection de plus en plus accrue des emprunteurs et demeure cohérente vis-à-vis des solutions précédentes.

Si la deuxième chambre civile fait ainsi preuve d’une rigueur à l’égard de l’établissement de crédit, elle n’épargne pas non plus l’assureur. En l’espèce, l’agriculteur a déclaré un sinistre avec lombo-sciatalgie droite, cette pathologie entrait dans le champs d’exclusion : celle-ci précisait expressément que sont exclus les incapacités et invalidités qui résultent des lombalgies ou des sciatiques. Néanmoins, cette même exclusion précisait également que sont en outre exclus « et autres "mal de dos" » de manière générale, en plus des pathologies précisément énumérées. Pour mémoire, une clause d’exclusion doit être formelle et limitée ce qui implique qu’elle soit claire, précise et qu’elle ne vide pas la garantie de sa substance. La clause objet du litige qui adjoint à la liste des pathologies exclues et identifiées avec précision « autres "mal de dos" » la rend invariablement sujette à interprétation et le nombre d’hypothèses qu’elle couvre dévient imprécis. Elle ne peut plus de ce fait être formelle et limitée, ce que rappelle la Cour régulièrement (Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841 ; Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, no 14-19.967). Avec cet arrêt la Cour confirme donc que l’incertitude, sous quelque forme qu’elle soit, ne peut faire partie d’une clause d’exclusion quitte à la rendre inopposable.

Combinées, ces solutions offrent un cadre juridique protecteur aux souscripteurs, qui pourrait paraître a priori « trop » protecteur. Toutefois, cette protection est la nécessaire résultante d’un déséquilibre qui affecte la relation entre un établissement de crédit et un emprunteur, personne physique, dans laquelle cette dernière ne fait qu’adhérer aux stipulations contractuelles, sans pouvoir intervenir dans le processus de détermination de leur contenu. Ce qui invite donc les assureurs à rédiger avec grande prudence les clauses d’exclusion et les banquiers à éclairer les futurs adhérents sur l’opportunité de la garantie proposée.
 
Source : Actualités du droit