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Nouvelle application de l’adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus habetur

Public - Santé
Civil - Responsabilité
24/02/2021
Est réparable le préjudice moral de l’enfant conçu avant mais né après le décès de son grand-père par homicide volontaire.
Faits et solution

En l’espèce, une personne a été tuée par arme blanche le 7 septembre 2014 et l’auteur des faits a été déclaré coupable de meurtre par une cour d’assises.

Le 28 octobre 2014, la fille de la victime donne naissance à un enfant. Agissant en tant que représentante légale de son enfant mineur, la mère saisit la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) en vue de la réparation du préjudice moral subi par sa fille.

La Cour d’appel de Bordeaux confirme le bien-fondé de cette saisine. La CIVI se pourvoi en cassation.

La CIVI formule principalement deux arguments afin de combattre l’arrêt de la cour d’appel. En premier lieu, estime la Commission, « il n’existe pas de lien de causalité entre le décès de la victime et le dommage moral invoqué par sa petite fille née après le décès de son grand-père ». Deuxièmement, à supposer qu’un tel lien existe, « si le fait de naître et de vivre sans père ou sans mère, en raison de la disparition prématurée de l’un de ces derniers, peut constituer un préjudice en raison du lien de filiation qui unit l’enfant conçu et à naître à ses parents, le préjudice à raison du décès d’un autre membre de la famille ne peut être présumé ».

Les magistrats du Quai de l’Horloge rejettent ses arguments au motif que « l’enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d’une infraction peut demander réparation du préjudice que lui cause ce décès » en permettant ainsi l’indemnisation de la petite-fille de son préjudice moral du fait de l’absence définitive de son grand-père.

Éléments d’analyse

Afin d’expliciter cette position des juges de cassation, il faut remonter le temps.

D’abord, traversant les siècles, faut-il se remémorer de l'adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus habetur connu encore du droit romain et que l’on pourrait traduire par « l'enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu'il pourra en tirer avantage ». Cet adage véhicule l’idée simple qu’il est équitable d’attribuer par anticipation la personnalité à l'enfant, s’il naît vivant et viable, chaque fois qu'il y va de son intérêt.

Néanmoins, cet adage ancien ne trouvait que difficilement son chemin à travers la jurisprudence moderne. Certes, la Cour de cassation l’a érigé en principe général du droit (Cass. 1re civ., 10 déc. 1985, n° 84-14.328). Plus encore, certaines dispositions du Code civil s’en inspirent clairement (articles 725 et 906 dudit code). Force était de constater pourtant que l’indemnisation des enfants simplement conçus n’aboutissait pas : « il n'existe aucun lien de causalité entre le décès de Louis X et le préjudice prétendument souffert par son petit-fils » martelait la Cour (Cass. 2e civ., 24 mai 2006, n° 05-18.663). En effet, la personnalité juridique s'acquiert à la naissance, de sorte que seule une telle personne peut jouir d’un droit de créance. Or, les conditions de la responsabilité civile sont concomitantes : si le fait générateur survient avant la naissance de la personnalité juridique créatrice de droit, la chaîne est interrompue et les conditions de la responsabilité civile ne sont pas réunies…

… Sauf à considérer l’adage précité. Nécessairement rétroactif, il permet de contourner cette difficulté de concomitance. Comme le note avec justesse la Professeure Bacache, l’application de cet adage « permet en quelque sorte de faire rétroagir la personnalité juridique de l'enfant né vivant et viable à la date de sa conception afin de lui reconnaître le bénéfice de certains droits, [et] évite dès lors de s'interroger plus avant sur le statut juridique de l'enfant à naître » (D. 2018, p. 386, note M. Bacache).

C’est ainsi que, dans un deuxième temps, il convient de revenir à une date plus proche – le 14 décembre 2017. Ce jour, par une formule concise, la Cour de cassation balaye les réticences de sa jurisprudence précédente quant à l’admission de l’indemnisation d’un enfant en gestation au moment de la survenance d’un fait dommageable (Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n° 16-26.687 : « dès sa naissance, l'enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu'il était conçu »). Ce faisant, elle a élargi la liste des préjudices réparables et a consacré l’existence d’un lien de causalité. Très récemment, la chambre criminelle s’est alignée sur cette position (Cass. crim., 10 nov. 2020, n° 19-87.136).

Les raisons pour lesquelles les arguments de la Cour d’appel de Bordeaux n’ont pas prospéré en l’espèce sont alors évidentes. D'un côté, l’emploi de l’adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus habetur permet d’établir le lien de causalité. De l’autre côté, exclure l’indemnisation au motif que l’enfant a été privé non pas d’un parent mais d’un grand-parent est un argument juridiquement stérile et inéquitable. Si l’on admet que l’enfant souffre du fait de la disparition d’un parent, pourquoi ne souffrirait-il pas de la disparition d’un grand-parent ?

Par cette solution la Cour de cassation permet donc l’indemnisation de l’enfant définitivement privé du fait du tiers de la possibilité de grandir et de vivre aux côtés de son grand-père, un préjudice moral spécifique. Une solution qui ne peut être qu’approuvée.
 
Source : Actualités du droit